Au courant

Florent Seguin aimait les cafés, les livres, parapher et vendre quelques-unes de ses productions qu’il éditait presque à compte d’auteur. Il s’était trouvé un éditeur qui n’en était pas vraiment un. Un simple imprimeur adepte de la mise en page qui disposait d’une page Facebook pour faire la promotion de ses poulains, dont Florent Seguin avait été d’abord le fer de lance grâce à son ancienne activité journalistique. Un homme de plume au clavier bien tempéré. Une attitude gagnée sur le terrain. Désormais dans le champ politique, il était égal à lui-même, avec sa bonhomie rigolarde et son manque de passion lors des conseils municipaux qui n’étaient devenus que des caisses de résonance à enregistrements. Des petits piliers dont on fait des pilotis sur les nombreuses zones inondables de Saint-Avit-les-Monts. La rivière traverse de part en part la commune, en deux points, puisqu’un des bras avait été créé au moyen-âge pour détourner la rivière de son courant principal et alimenter quelques petits moulins dont le produit de la farine servait soit au seigneur, soit aux religieux du coin. Florent Seguin habite sur le petit courant de la rivière détournée au moyen-âge. Il n’est pas vraiment un seigneur ni ce que l’on appelle communément un petit baron local, mais il en est un des gentils glorieux serviteurs. Il a lavé son étiquette verte au cours de ses pérégrinations dans les institutions du pays d’Aurelcastel. Au fur et à mesure de ces aventures faites de réunions et de serrages de mains autour d’un verre de mousseux, sa passion verte s’était émoussée. Il aime toujours le jardinage et il bande pour sa mangrove. A part cela, plus rien, à l’heure où les étiquettes ne font pas toujours bon ménage quand elles sont affichées clairement. Une union sacrée, faite de différences et de points de vue divergents, s’est constituée au sein du conseil municipal de Saint-Avit-les-Monts où vraiment toutes les tendances se côtoient. Enfin surtout celles de droite, voire d’extrême-droite. Florent Seguin arrive tout de même à y trouver une place. Il devient le photographe officiel du petit canard de Saint-Avit-les-Monts pour lequel il écrit. Un retraité qui écrit pour les retraités, principale préoccupation du Centre communal d’action sociale qui offre chaque année à ses aînés un banquet dantesque avec orchestre et jeunes femmes qui se dénudent volontiers, histoire de donner des frissons dans l’entrejambe des messieurs les plus âgés du repas. A commencer par Jean-Marie Blondieau dont les mains tremblotantes n’étaient pas tout à fait avares de petits touchers bien placés. Quant à Florent Seguin, tout ceci le fait rire, l’égaie et lui donne l’impression de s’encanailler avec son gros ventre mou qui ne lui permet plus de voir son bout. Des petites jeunes femmes très accortes qui s’assoient sans rechigner, en petites tenues, sur les genoux de ces vieillards qui viennent aussi pour bien manger. A Saint-Avit-les-Monts, on ne lésine pas sur les mets et sur les vins, et on a le sens de la fête entre bons amis. Il n’y a de la gêne que pour ceux qui n’ont pas de plaisir. Christine Prouteau et Estelle Rosette étaient les organisatrices de ces repas pour les anciens, où les doyens de la commune étaient à l’honneur. Une fleur pour madame, une bouteille de vin pour monsieur. C’est aussi l’occasion pour Jean-Marie Blondieau, bien qu’il ne sache pas vraiment écrire de discours, d’y aller de sa petite phrase de félicitations, et de félicité pour ceux qui avaient atteint le grand âge. A la musique, l’orchestre Electrophone qui vient chaque année avec un accordéon, un synthétiseur, et une guitare électrique qui s’accordaient pour jouer un peu de musette ou des tubes des années yéyés. Ce qui permet à tout un chacun, ou de s’élancer sur la piste malgré les genoux ou les hanches en plastique, ou de pousser la chansonnette en silence pour ceux qui préfèrent faire tapisserie. A chaque fois, Saint-Avit-les-Monts sort le grand jeu pour sortir les petits vieux d’une solitude parfois confinée. Pour les plus anciens de la commune, c’est toujours l’occasion de rencontrer les anciens camarades de classe. Pour d’autres, des retrouvailles entre anciens collègues de travail et pour d’autres encore, de se retrouver avec les voisins du même quartier ou du même lotissement. Les discussions vont toujours bon train. Jean-Marie Blondieau ne manque jamais de faire la bise à toutes les dames et de serrer une poignée de main franche bien que tremblante à tous les hommes. C’était toujours un peu plus fastueux à chaque échéance électorale mais, avec une seule liste et unique candidat au poste de maire, Jean-Marie Blondieau pense que cela fait toujours l’affaire. Pour que les petites affaires aillent bon train. Quelques élus faisaient partie du cortège municipal et se mettaient à table avec les autres convives, en milieu de salle. Il faut dire que certains avaient atteint l’âge de faire partie des convives, Jean-Marie Blondieau compris, puisque ces agapes sont réservées, à Saint-Avit-les-Monts, aux plus de soixante-dix ans. Tout le monde profitait de deux ou trois petits ragots, ou de petits racontars qui rendent tout de suite la vie plus gaie dans une existence désormais linéaire et monocorde, faite souvent de quelques enterrements, malgré les naissances des petits ou arrière-petits-enfants. Des petites parenthèses qui permettent aux personnes âgées d’oublier les contours de leurs paysages et le cours de la rivière qui se tarit de plus en plus, surtout à quelques endroits ciblés. Le savoir-vivre du maire de Saint-Avit-les-Monts transparaît à chacune de ces petites rencontres formelles qui épuisent, le temps d’un déjeuner et d’un après-midi, les ventres remplis et repus, voire gavés. Les plus précautionneuses venaient avec leurs petites boîtes en plastique pour emmener avec elles le trop-plein et continuer quelques repas une fois rentrées à la maison. Afin d’éviter que certaines de ces terres infertiles deviennent trop facilement inondables, comme le cours de la rivière en hiver.