Et il y a Monclair
A Saint-Avit-les-Monts, des bords de rivière ont disparu des regards au profit du marché de la zone commerciale qui dicte sa loi et ses inventaires territoriaux. Une zone commerciale avec son hypermarché, où les vieillards et les vieillardes peuvent se donner rendez-vous quotidiennement pour discuter un peu du temps qu’il fait et du voisinage. Sans se donner rendez-vous, les plus jeunes s’y retrouvent et font la conversation entre deux rayons. Des personnes d’un même village ou du même tissu local et social qui se retrouvent dans ce marché de la surconsommation, maîtrisé de main de maître par son propriétaire, et son directeur qui n’hésite pas à déplacer deux ou trois palettes ou faire de la mise en rayon pour montrer que lui aussi, il sait mouiller sa chemise. Le directeur, c’est le frère d’Estelle Rosette, un petit gars du village lui aussi qui a gagné ses galons directoriaux en montrant bien qu’il appartenait à la grande famille et à la culture de cette petite épicerie devenue très grande et tentaculaire. On le voyait bien de temps en temps dans quelques rayons, lui qui avait débuté sa carrière au plus bas de l’échelle, et qui avait gagné ses mérites à l’école de l’hyper, que l’on appelle Monclair. Grâce à Monclair et son vaste territoire commercial monté à la faveur de la dispersion des héritages, les taxes pleuvaient sur Saint-Avit-les-Monts depuis la fin des années 70, à l’heure où le Made in China commençait à prendre son essor, et qui sonnait aussi le glas des trente glorieuses à la Française. Ce n’est pas que Florent Seguin raffole de Monclair puisqu’il préfère le petit bar du bourg du Centre où il lui arrive de faire bonne chère en compagnie de Jean-Marie Blondieau dans une arrière-salle en bonne compagnie municipale ou non, mais il estime que cette manne financière, pourvoyeuse d’emplois à pas cher, est utile. A la préservation du patrimoine qui semble lui être précieux ? A la mise en place d’un tourisme vert que l’on veut lent désormais ou à la programmation d’une vie culturelle pour laquelle il s’est porté volontaire en conseil municipal ? Des responsabilités dont on ne voit pas les effets, à part pour la fête des vins et des terroirs qui rassemble péniblement les habitants du territoire, à l’exception des habitués qui la fréquentent depuis plus de trente ans et qui viennent, parfois, avec leurs enfants devenus grands. Chez Monclair aussi on sait faire des fêtes des vins. Le rayon alcool et spiritueux est toujours bien pourvu, et les actionnaires de Pernod-Ricard peuvent dormir sur leurs deux oreilles, leurs dividendes pourront leur être versées grâce aux efforts du chef de rayon jamais avare d’un bon zèle, et qui sait, lui aussi, bien aligner les bouteilles, sans pour autant faire déborder les têtes de gondole. Du bon goût made in Monclair qui sait y faire grâce à son indéfectible promoteur, Daniel-Henri, l’héritier de cet empire de grand épicier qui a su monter grâce à son indéfectible foi dans la collaboration pendant les heures, pour lui certaines, de l’Occupation. Le rayon alcool, donc, est toujours bien rempli avec ses fameux whiskys et ses bouteilles de Pernod-Ricard, pour ceux qui aiment la pétanque et le foot. De bonnes connexions s’étaient établies entre ces deux mondes pour fêter les troisièmes mi-temps. Chez Monclair, on a le savoir-faire pour satisfaire les clients, et même toujours un peu plus, du moment que le tiroir-caisse continue à bien sonner. Pascal, le frère d’Estelle Rosette, ce petit gars du pays qui a réussi malgré des résultats scolaires en dessous de la moyenne, ne ménage jamais sa peine pour montrer qu’il aime le travail bien fait et que, lui aussi, il est le garant de la bonne cohésion dans la grande famille Monclair. Ses troupes doivent elles aussi faire partie du clan, vu que pour la plupart d’entre elles, elles étaient nées ou vivaient dans le village. Monclair sait arroser la région et tout le monde accourt dans l’hypermarché à la recherche de la moindre petite promotion, qui n’en est pas vraiment une. La défense du sacro-saint consommateur est le cheval de bataille de Daniel-Henri Monclair, lui qui a le sens des affaires et qui est souvent invité dans les médias pour montrer que chez Monclair, la vie est faite de moins cher. Mais tout dépend des rayons et des promotions. En tout cas, les caddies se remplissent et défilent dans les travées de l’hypermarché jusqu’au passage en caisse, pour finir leur vie, vide, sur le grand parking rempli de voitures. Monclair fait de Saint-Avit-les-Monts une petite commune bien riche, qui sait lui rendre la pareille dès qu’une nouvelle opportunité commerciale vient s’offrir à elle, et aussi aux autres. A Saint-Avit-les-Monts, il y a le petit centre du village, avec son boulanger, son bar-restaurant-presse-tabac, sa petite boutique d’informatique et, depuis quelques mois, son salon de coiffure. Et puis il y a Monclair, un centre de la grande ère commerciale avec son hyper et les boutiques franchisées dont l’opportunité de s’installer là vérifie la puissance du nom Monclair. Et Jean-Marie Blondieau sait aussi s’en servir auprès des autres politiques locaux, quand c’est nécessaire, comme il sait servir les causes de Monclair. Ces grandes connexions font tout de même de Saint-Avit-les-Monts un petit bourg où il fait bon vivre, malgré le passage incessant des voitures dans l’artère principale, et ses petits chemins vicinaux non loin de la rivière, qui ne se donne pas tout à fait à la puissance de Monclair. Un cours d’eau paisible qui sait faire quelques remous au gré des vannages, qui règle sa puissance et ses trop pleins.